Do I Wanna Know ?
Fidèle lecteur (Dites-moi qu'il y en a au moins un, ne brisez pas mes rêves), contrairement à nos petites habitudes ce n'est pas le célèbre Lcf Sat a.k.a. Chris Richards que nous retrouvons ici mais la trépidante Gwen Gambit (The Frantic Gwen Gambit : ça ferait un bon titre de comics!). En ce moment précis, la jeune Moire n'en menait pas large. Devant son miroir sur pieds, elle n'avait pu se décider que sur sa lingerie fine : un assortiment en dentelles noire. L’instinct masculin basique s’en contenterait volontiers mais la bienséance s’opposerait farouchement à ce qu’elle sorte dans cette simple tenue. Son instinct féminin, infaillible dans ce genre de situation, avait décrété que ce soir, c'était le grand soir. Chris et elle avaient eu quelques rendez-vous mais l'un comme l'autre avaient décidé d’un accord tacite de ne pas précipiter les choses. Alors d'où lui venait son intuition ? Ce n'était pas le nom du restaurant, San Daniele Del Friuli, pourtant vestige d'un temps révolu et annonciateur de découvertes italiennes inédites pour le palais. Ce n'était pas non plus le baiser langoureux échangé il y a deux soirs au moment de se quitter, un baiser légèrement plus long et brûlant que les précédents. Non elle ne pouvait clairement se l'expliquer mais quelque chose dans l'air annonçait que cette soirée serait mémorable. Une certaine atmosphère, légèrement lourde mais pas suffisamment pour que l'orage éclate.
Tout ça c’était bien beau mais ça ne résolvait pas son problème. Elle avait beau avoir une penderie remplie de tous les styles, impossible de se décider. Cette robe noire ? Trop vulgaire. Ce tailleur ? Trop strict. Ce top ? Trop décontracté. Cette jupe longue ? Trop hippie. « Raahh!! » Gwen envoya valser une ceinture à la boucle trop voyante en signe de protestation ultime.
Lorsque la sonnette retentit, la star de la soirée était enfin prête et particulièrement fière d'elle-même. L'ensemble laissa sans voix Richards et lui fit perdre l'espace d'un court instant sa retenue et son flegme si travaillés et si artificiels qu'elle aimait tant. L'effet était réussi.
« Miss Gambit. Vous êtes époustouflante ce soir.
- Chris, je sais que tu adores jouer ce rôle mais essaie quelque chose de nouveau ce soir. Pour moi. Appelle-moi simplement Gwen.
- Pas de chichis ? Très bien. Tu es sûre de vouloir découvrir cette facette de moi ?
- Je veux toute les découvrir.
- Très bien. »
Elle ne savait pas encore la tournure qu’allait prendre cette soirée. Ce souhait innocent allait être exaucé dans des proportions inattendues. Chris Richards ouvrit la portière à sa compagne avant de s'installer derrière le volant.
« Pas de chauffeur ?
- Ce soir, c'est uniquement nous deux. Nous deux contre le monde... »
La voix de Chris se resserra un instant à l'évocation de cette expression, de tout ce qu'elle symbolisait. Il s'en voulait de l'avoir énoncée, c'était comme une trahison. Mais les mots lui avaient échappés et déjà ils s’envolaient derrière eux. Le moteur de la jaguar cabriolet rugit et masqua ce moment d'égarement.
« Tu m'as caché que tu conduisais... aussi bien. Gentleman, action hero, pilote confirmé… Ta couverture est grillée Chris, tu peux admettre que t’es James Bond !
- Pas loin, je préfère Le Chiffre dans Casino Royale. »
[Get it ? Another brick in the… fourth wall !]
Le serveur remplit à nouveau les verres du jeune couple. La discussion était légère et les plats particulièrement savoureux. Seules une très faible élite moire pouvait s’offrir ce type de restaurant. Alors que Chris portait le verre à ses lèvres, un reflet rouge extrêmement fugace attira son attention. Dans un réflexe surhumain, l’ancien mercenaire bondit sur le côté et emmena Gwen avec lui dans son élan. La table ronde pivota sur le côté pour servir de bouclier de fortune. Le premier tir perfora de part en part l’avant-bras gauche de Chris. Les suivants se logèrent dans la table puis il y eut une pause recharge. Lorsqu’il regarda de l’autre côté du trou béant, témoin de l’impact à grande vitesse, ce fut l’œil de Gwen qui apparut, horrifié. Elle était sans voix devant cet orifice orné d’un sang poisseux.
« Fils de…
- Chris… On devrait appeler les secours. Comment tu vas ?
- Les secours, c’est ce taré qui va en avoir besoin. Reste là, je m’en occupe.
- Tu vas te faire tuer. Je sais ce que tu penses. Ce sont des représailles de la fameuse soirée au Platinium, c’est ça ? Tu ne résoudras rien de cette façon. »
La discussion fut abrégée par le léger cliquetis provoqué par l’atterrissage gracieux de quelques grenades.
« Tu viens avec moi. »
Gwen et Chris bondirent dans la rue avant que les vitres du restaurant ne soient soufflées par l’explosion. Les lieux n’avaient pas fini d’être évacués et de nombreuses victimes seraient probablement déblayées des décombres durant la nuit.
« J’adorais ce restaurant… »
Gwen était sans voix devant la fulgurance et la violence des évènements. Elle n’était plus que la spectatrice impuissante d’évènements qui la dépassaient. Elle qui avait mis si longtemps à choisir sa tenue, voilà qu’elle partait en lambeaux. Là où une personne normale serait en train de contacter la police et les secours, Chris était en train de sortir un moire grisonnant du coupé sport qu’il venait de garer à quelques mètres. Le pauvre bougre avait bien mis vingt minutes avant de trouver une place libre dans ce quartier huppé. Gwen n’entendit pas d’informations supplémentaires de cette conversation, tout n’était que bruit et chaos dans ses oreilles. Elle avait cette désagréable sensation que l’on ressent lorsqu’il y a un changement brusque de pression. La camionnette noire d’où provenait l’assaut éclair était à peine partie en trombe que Gwen se retrouvait embarquée à sa poursuite dans une voiture d’emprunt. Au volant Chris mobilisait au maximum ses réflexes et ses capacités physiques.
« Tu t’es bien attachée Gwen ? »
Pas de réponse de l’intéressée, elle était dans un état second.
« Gwen, parle-moi. Tu t’es bien attachée ?
- Oui oui… Dis-moi que tous tes rencards ne se déroulent pas comme ça…
- A vrai dire… »
La course poursuite prit fin assez rapidement. Une automobiliste paniquée ne s’était pas écartée à temps du trajet de la fourgonnette noire. Le choc à pleine vitesse renversa le camion qui finit sa trajectoire sur le toit tandis l’obstacle malchanceux glissa sur cinquante mètres avant de s’encastrer dans un véhicule garé. On aurait dit un accordéon géant. C’était tout un art de rouler à pleine vitesse dans une circulation dense. Une unique ombre émergea de la fourgonnette encore fumante par la portière passager. Selon toute vraisemblance le conducteur devait avoir fini la tête encastrée dans le volant. Chris s’arrêta quelques mètres avant l’accident et s’apprêtait à s’élancer à la suite de son mystérieux Némésis. Il fut stoppé net dans son élan par la main tremblante de Gwen. Ses lèvres ne parvinrent pas à se desserrer mais son regard valait tous les argumentaires du monde.
L’inspecteur Carlyle arriva cinq minutes plus tard sur les lieux de l’accident. Des agents vinrent à sa rencontre pour le briefer sur l’anarchie ambiante. Il les repoussa d’un signe de main strict et se dirigea directement vers Christopher Richards.
« Il y a moins d’un mois M. Richards. Moins d’un mois que vous étiez notre hôte le temps d’une nuit.
- Et c’est reparti…
- Avouez que la coïncidence est étrange. Vous gardez les comptes des personnes qui meurent autour de vous ?
- Je ne répondrai pas à cette question. Demandez aux témoins, nous avons été victime d’un attentat.
- Il semblerait oui. En revanche les victimes qui partent à la chasse de leurs agresseurs, je trouve ça peu commun. »
Sat était à nouveau mis au pied du mur par l’inspecteur. Il réfléchit à toute vitesse à la bonne conduite à adopter pour que le bulldog lâche son os. Gwen entra en scène avant qu’il ne puisse répliquer.
« M. Richards m’a protégé de la première rafale en risquant sa vie. »
Elle pointa nerveusement du doigt le bras en sang de son compagnon. Il avait effectué un garrot de fortune avec le foulard de Gwen.
« Après ça, nous avons réchappé in extremis à l’explosion dans le restaurant. Nous étions sous le choc, nous n’avons pas vraiment réfléchi mais agit à l’instinct. Nous voulions les empêcher de s’en tirer à si bon compte. Tout simplement.
- Et au passage, vous avez "tout simplement" enfreint l’intégralité des règles du code de la route et occasionné d’importants dégâts matériels que nous sommes en train d’estimer. Cela valait-il le coup, je ne suis pas certain, Miss… ?
- Gambit.
- Gambit… J’ai déjà entendu ce nom-là, le mois dernier. Que faisiez-vous au Platinium exactement ?
- Je suis… Etais chargée de la surveillance de M. Richards. Je venais le chercher sur place lorsque vous l’avez embarqué.
- M. Richards semble être tout à fait capable de se débrouiller seul. Comment ?... »
L’inspecteur fut interrompu dans ses réflexions à la Columbo par l’agent Bulton. Ce dernier faisait bien attention à ne surtout pas croiser le regard de Christopher Richards. Le déferlement de rage dont il avait fait les frais était encore trop récent pour ses nerfs. Ce moire le mettait mal à l’aise, il sentait peser sur lui le regard du prédateur.
« Chef, nous avons extrait un corps du camion. Il est mort sur le coup mais ses papiers étaient sur lui. Jim Howlett, une petite racaille bien connue de nos services. Je l’avais moi-même inculpé à deux reprises et…
- D’autres informations ?
- Il n’était pas seul. Le tireur a explosé le pare-brise et est sorti par là. Des témoins affirment l’avoir croisé mais il portait une cagoule et une tenue d’assaut. Il aurait disparu dans une rue perpendiculaire à l’avenue cinquante mètres plus loin, fusil au poing. »
Richards et Gambit profitèrent de l’occupation de Carlyle pour s’éclipser discrètement. L’inspecteur connaissait ses coordonnées et son adresse, ainsi que celles de ses avocats. Le trajet retour fut relativement calme, chacun étant passablement absorbés par ses pensées. Lorsqu’ils furent arrivés devant chez Gwen, Chris était toujours aussi ombrageux.
« Sacrée soirée…
- Oui…
- Chris, j’ai bien compris que faire partie de ta vie n’était pas sans risque. Ça ne me fait pas peur, tu connais mon cursus.
- Gwen, je sais comment finit ce genre de discussion et je comprends parfaitement…
- Non je ne pense pas que tu réalises vraiment. Je vais rentrer chez moi et tu n’es invité qu’à une condition. Que tu me racontes qui tu es vraiment. Il est hors de question que je m’attache à une ombre, un rôle que tu t’es créé. Dans le contraire, restons-en là. Je débute mon nouveau poste au service SU lundi et nos relations resteront strictement professionnelles. C’est non négociable Chris. »
Gwen se dirigea d’un pas peu assuré jusqu’à son perron. Elle se débarrasserait de sa robe sinistrée dès qu’elle aurait fermé la porte, accompagnée ou non. Un de ses talons céda et manqua de la faire trébucher. Elle pesta et finit les quelques mètres pieds nus. Pendant ce temps, Chris tapotait nerveusement du pouce sur le volant tandis qu’il jetait des regards furtifs vers cette étrange créature. Il s’était trouvé bien minable, sans répartie ni autodérision. Il se leva brusquement et rejoignit Gwen en petites foulées alors qu’elle cherchait ses clés.
« As-tu déjà entendu parler du mercenaire surnommé Lcf Sat ?
- Oui il faisait l’actualité il y a des années mais on ne l’a jamais coincé. Du coup je suppose qu’il est soit mort, soit à la retraite.
- C’est moi. Es-tu toujours sûr de vouloir m’inviter ? »